mercredi 14 mars 2007

Les premiers seront les derniers, et vice-versa.

Après moult tractations, demandes, discussions, indécisions,
la surprise de dernière heure c'est

Pierre Lapointe !


"Les matières concrètes étaient trop abstraites pour moi." - Pascal Grandmaison

Avant de le voir en chaire et en os, voici une captation de 3 morceaux au piano et un portrait du porte-flambeau de "La Relève" québécoise en France réalisés par Télérama à l'occasion de la sortie du dernier opus de Pierre Lapointe " La Fôret des Mal-Aimés" en septembre 2006.

Réalisation : Pierrick Allain et Jean-Philippe Pisanias.

Tombé dans sa tête
L’univers nébuleux de ce bouillonnant ciboulot va chambouler les amateurs de chanson française. Venue du Canada, une révélation “mauditement” bonne.

Bobby, tu n’es plus tout seul. Tu étais l’unique Lapointe de la chanson française. Eh bien, c’est fini, il va falloir compter avec un autre Lapointe, Pierre Lapointe, un petit gars qui nous vient du Canada, de la province ouatée de l’Outaouais, au sud-ouest du Québec. Là-bas, les critiques disent de lui qu’il est « l’étrange et bel enfant de Thom Yorke [Radiohead] et de Barbara », que c’est le chanteur qui « pogne » (qui monte). Nous, si on exagérait, on dirait que Pierre Lapointe est ce qui est arrivé de mieux à la chanson depuis bien longtemps. Alors exagérons.

Et partons à sa rencontre, à Montréal où il vit désormais, avec une curiosité mal dissimulée. Parce que c’est bête à dire, mais on n’a jamais été aimanté de la sorte par de petites chansons bancales. Un truc puissant, très puissant. Si c’était un poison, il provoquerait une mort subite, du plus pur style Catherine de Médicis. Qu’est-ce qui nous met dans cet état ? Cette poésie tranquille dans l’écriture, traversée par l’ironie du désespoir. Au royaume baroque de Pierre Lapointe, on fréquente des endroits aussi riants qu’un columbarium ou que l’adolescence. On croise de langoureuses femmes à barbe, un hermaphrodite surnommé la reine Emilie, des octogénaires s’adonnant au plaisir de la chair… Ses chansons, même les plus vaporeuses – ni couplets ni refrain –, revêtent assez vite l’évidence et la familiarité des standards, arpèges éternelles et cordes rutilantes. Elles nous font l’effet d’une valse électrique, qu’on danserait pieds nus dans l’eau.

Le tempo désuet à trois temps du premier album de Pierre Lapointe, sorti en 2004, lui donnait déjà ce côté intemporel dans un monde douloureusement binaire. Car M. Lapointe, figurez-vous, en est déjà à son deuxième disque, La Forêt des mal-aimés. Le premier à paraître en France. Plus peps que le précédent, La Forêt des mal-aimés, d’un raffinement inattendu, mêle chanson, pop, électro. Qui est donc cet olibrius iconoclaste, trop esthète pour être québécois (désolé pour le cliché), auteur d’une chanson parfaite (Au 27-100 rue des partances), capable, sur scène, du haut de ses 25 ans à peine, de mettre son public en lévitation ?

En vérité, Pierre Lapointe a 1 000 ans. Il cogite non-stop, mouline tellement depuis l’enfance qu’au total cela ne doit pas faire loin d’une éternité qu’il mature. « Petit, j’étais triste, renfermé sur moi-même. Je trouvais la vie extrêmement longue. En réaction, je me suis dit que j’allais me faire une existence hors norme. C’est ça. » Un défi pas facile à relever quand on s’imagine en Jell-O (ce dessert gélatineux américain) qui réagit au moindre tremblement, quand on est hypersensible : « Ma mère, qui passait une licence en arts plastiques sur le tard quand j’étais enfant, laissait traîner sur la table des livres d’images. Un jour, je découvre une robe Saint Laurent des années 60 avec des motifs du peintre Mondrian. Logiquement, j’associe ces motifs aux années 60. Or, dans un autre livre, j’apprends que ces motifs datent du début du XXe siècle ! Et là, j’ai eu un choc, je ne dormais plus, une excitation totale, quatorze émotions en même temps. Ça s’est aggravé avec les chaises Art nouveau de ma tante ! C’est ça. J’étais fasciné par l’objet nouveau qui était vieux. » L’objet intemporel, comme son premier album.

En plus de « C’est ça », il dit souvent : « J’ai réalisé que… », « J’ai compris à ce moment-là… ». Quoi donc ? Qu’on peut être touché par une œuvre même si on ne la comprend pas, comme quand il découvre tout jeune La Symphonie pastorale, de Brigitte Fontaine ; que les œuvres d’art sont là pour provoquer une réaction, grâce à Marcel Duchamp et au Bauhaus – enseignements qu’il s’applique à transposer aujourd’hui en musique, à sa manière, en faisant un lien entre pop et avant-garde. Telle une éponge, le petit Pierre s’imprègne de tout ce qui bouge, fréquente assidûment le Centre national des arts d’Ottawa, où il découvre les mises en scène « assez sautées » de Robert Lepage, passe son temps au musée des Beaux-Arts. Il occupe sa solitude, à tarif réduit, dans les institutions culturelles. Sauvé, ou presque.

A l’école, ce n’est pas brillant. « Les matières concrètes étaient trop abstraites pour moi. Et tout ce qui était aérien était facile. Heureusement, je suis tombé sur les bonnes personnes car j’étais trop éparpillé. » Eparpillé, comme quand il entreprend de vous parler de cette prof tellement importante du secondaire, du spectacle de Noël au Cégep (lycée) de Sainte-Hyacinthe si marquant – « C’est ça », répète-t-il encore comme une béquille, et nous, on est paumé, oui, on n’y comprend plus rien, entre les prix, les bourses, les machins, j’allais devenir comédien même si je m’appliquais surtout à faire mes lignes (là, il veut nous dire qu’il dessine). « A 18 ans, j’ai décroché émotionnellement à cause d’un trop-plein d’informations. Je ne savais plus ce que je voulais faire alors que, quatre ans plus tôt, j’étais arrogant face à la vie. Je suis retourné chez mes parents et je me suis mis à pleurer en regardant le lac Saint-Jean. » Là, au moins, c’est clair.

Heureusement, plus jeune, vers 11-12 ans, Pierre Lapointe est tombé amoureux de son piano, une « caisse de résonnance », qu’il se met en tête d’apprivoiser. « Je jouais la même note, je tapais sur la même touche pendant vingt minutes pour voir ce que ça donnait mécaniquement. Je trouvais des tournures de musique qui m’appartenaient. J’ai commencé à conclure un pacte avec mon cerveau : comme un jeune délinquant qui tombe dans la drogue, je me suis autodétruit en tombant dans ma tête. Je me suis dit : je n’écris rien sur papier, ce qui est bon va rester. Et réapparaître avec le temps. Je joue aujourd’hui sur scène des airs que j’ai composés il y a douze ans. »

Dans L’Energie spirituelle, Henri Bergson écrit déjà, en 1919 : « Je crois que notre vie passée est là, au-dessous de la scène illuminée de la conscience […] et que tout ce que nous avons perçu, pensé, voulu depuis le premier éveil de notre conscience persiste indéfiniment. » Selon les neurobiologistes, l’hippocampe, qui aurait un rôle majeur dans l’encodage et la restitution des traces musicales, serait très développé chez les musiciens. En plus d’un agité du bocal, Pierre Lapointe serait-il un boursouflé du cortex ? A l’observer attentivement, on s’aperçoit qu’il a une bonne bouille hydrocéphale, impression renforcée par un corps longiligne. Il nous avoue que son cerveau « fait des bulles », que son tympan émet des sons quand il assiste à un spectacle qui le réjouit – ce qu’on appelle, en langage savant, une « autoémission », « résultat d’une excitation des cellules ciliées externes » de l’oreille, explique Bernard Lechevalier dans Le Cerveau de Mozart (1).

Discuter avec Pierre Lapointe est une expérience troublante. Il peut vous emmener très loin visiter les « palais de la mémoire » tels que les imaginaient les orateurs antiques, vous entraîner dans les profondeurs inconnues du cerveau lors d’un voyage dans les mystères de la création. En l’écoutant, vous vous sentez comme le personnage de Jim Carrey dans le film de Michel Gondry Eternal Sunshine of the spotless mind, qui tombe dans les abîmes de la mémoire. Alors, quand il se lève pour fermer le robinet d’eau laissé ouvert par le serveur du petit café montréalais où se déroule l’interview, on se demande si c’est par crainte de se laisser emporter par un flot d’idées trop puissant.

Se laisser déborder, engloutir sous les eaux sombres de l’imagination, cet obsessionnel en a l’habitude. « Pour Pointant le nord, j’ai répété la première phrase pendant deux heures. La deuxième est arrivée. Mon corps a fini par appeler une autre phrase, et ainsi de suite. Dans cet état d’hypnose, j’ai “vu” ce jour-là la musique. J’avais une sensation de béton et m’est apparu un graphique clair, avec des lignes ordonnées. Il manquait quelque chose pour fermer ce graphique, une croix. Il y a un accord de ré mineur qui apparaît une seule fois : c’est cette croix. » Rassurez-vous, qu’un compositeur ait une représentation architecturale de son œuvre est quelque chose de courant. « Une chanson, plus que des notes, est une construction d’émotions dans l’espace. »

Sur scène, Pierre Lapointe met en pratique ses petites observations élevées au rang de lois universelles. « En spectacle, je flatte le public pour le frapper ensuite. J’essaie de jouer avec ses émotions, sans qu’il comprenne ce qui lui arrive. C’est ça. Au début, où je jouais un personnage très drôle, très baveux [traduisez arrogant] en concert, les gens riaient. Du coup, la chanson suivante, triste, les affectait terriblement. »

Et ça marche. Tel un sorcier de la pop, Pierre Lapointe peut, en concert, vous mettre dans un état proche de l’Ohio, prendre le contrôle de vos émotions. Houston, on a un problème ! « J’ai un pouvoir de manipulation, dit-il très simplement. Je réussis à déstabiliser les gens et à les amener où je veux. » Avec ses quatre musiciens de haut vol, il parvient à conjuguer le meilleur des deux mondes – le tour de chant à l’européenne, le show décomplexé à l’américaine – pour concocter des spectacles, finalement très ancrés dans une lignée québécoise, de Robert Charlebois à Diane Dufresne. Vous voilà absorbé par sa présence physique, sa voix puissante, son accent travaillé (dans la réalité, il est très québécois), ses paroles littéraires même s’il dit ne pas être littéraire du tout : « En fait, j’ai une mémoire auditive. Ma culture littéraire, c’est le théâtre. »
Dans dix ans, Pierre Lapointe voudrait réaliser un album pop d’avant-garde comme Melody Nelson, être l’égal d’un Beck ou d’une Björk. Inutile toutefois d’attendre autant pour profiter de son irrésistible talent dont La Forêt des mal-aimés, gros succès critique et public au pays, est un témoignage franchement bluffant.

Les meilleurs moments de sa vie, Pierre Lapointe dit les avoir passés pendant les vacances de son enfance, où il s’amusait à parodier des chansons connues avec sa cousine, où il allait voler le linge des voisins à 4 heures du matin avec sa grand-mère. C’est peut-être pour retrouver ces moments d’innocence perdue qu’il se met dans des états « qui n’ont pas d’allure », à la recherche désespérée d’un passé évaporé. Au bout du voyage se dessine l’univers foisonnant d’un chanteur, d’un artiste complet. Qui tire sur notre fibre émotive comme un sale gosse sonnerait les cloches d’une chapelle perdue au plus profond de notre âme. C’est ça.


Jean-Philippe Pisanias (envoyé spécial à Montréal)

(1) Chez Odile Jacob.

A ECOUTER
“La Forêt des mal-aimés” (sortie le 11 septembre, Audiogram), ffff (lire Télérama n° 2929).
Télérama n° 2955 - 2 Septembre 2006


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10 commentaires:

La Pieuvre a dit…

On est con-tent.

Anonyme a dit…

On est plus que content !!!

La Pieuvre a dit…

Con content alors ?

Anonyme a dit…

On est in-con-testablement con con content qu'on en bégaie!

Anonyme a dit…

On est in-con-testablement con con content qu'on en bégaie!

Anonyme a dit…

J'espère qu'on qu'on, qu'on sera encore plus con con con tent à l'aube du dimanche 22 juillet !

Anonyme a dit…

Alors,c'est sûr. OUAAH!!! J'ai vu qu'il a été rejouté le 20 juillet en 1 ère partie de Bori!

Anonyme a dit…

Exact, too-kook, sauf que ce ne sera pas vraiment une première partie, mais une scène partagée entre les deux artistes ce soir là. Mais, ça devrait être beau !

La Pieuvre a dit…

Tu crois que Pascal va bien vouloir scier la scène en deux ?
:/

Anonyme a dit…

T'sais qu't'es drôle, toé !!!